La tristesse du samouraï

de Víctor Del Árbol
Éditeur : Actes sud - 2013
Collection Babel noir
Roman policier
528 pages - 15.90 $
Pourquoi ce livre

J'ai profité d'une carte cadeau dans une librairie pour découvrir de nouveaux auteurs. Víctor Del Árbol en faisait partie. Il faut dire que le prix gagné et le fait que ce soit un coup de cœur du libraire a beaucoup aidé !

Résumé 


En ce rude hiver 1941, une femme élégante arpente les quais de la gare de Mérida au petit matin. Elle presse la main de son plus jeune fils et écrit à l'aîné, qu'elle s'apprête à abandonner, les raisons de sa fuite. 
Le train pour Lisbonne partira sans elle, qui vient de disparaître pour toujours. L'enfant rentre seul chez son père, obnubilé par le sabre qu'un homme vient de lui promettre. 
Des années plus tard, une avocate envoie sous les verrous un inspecteur jugé coupable d'une bavure. Elle ne sait pas qu'elle ouvre ainsi une terrible boîte de Pandore, libérant quatre décennies de vengeance et de haine dont elle ignore tout et qui pourtant coulent dans ses veines. 
Se jouant d'un contexte historique opaque, de l'après-guerre espagnol à la tentative de coup d'État de février 1981, Le Tristesse du Samouraï est un intense thriller psychologique qui suit trois générations marquées au fer rouge par une femme infidèle. L'incartade a transformé les enfants en psychopathes, les victimes en bourreaux, le code d'honneur des samouraïs en un effroyable massacre. Et quelqu'un doit laver le péché originel. 

L'histoire sans la raconter

Une femme tente de fuir son mari phalangiste (qu'elle a trompé qui plus est), mais sans succès. Les enfants aux mains du père verront leur avenir chamboulé. Des années plus tard, l'heure de la vengeance a sonné pour certains, alors que pour d'autres, il s'agit de protéger ses arrières. 

Ce que j'en pense

J'ai vraiment aimé ce livre que j'ai lu en 10 jours, tout autant pour le contenu que pour la forme. Del Arbol a une façon d'écrire très agréable, amenant beaucoup de réflexions - sans jugement. Un chapeau au traducteur (Claude Bleton) qui a, semble-t-il, très bien traduit le livre. 

Quant à l'auteur, il a vraiment su retranscrire cette période noire de l'Espagne. On comprend les peurs, les trahisons et les mensonges vécus. On comprend la fuite de certains, l'opportunisme d'autres. C'est une histoire sombre comme l'était l'époque, qui dévoile une tranche d'histoire peu reluisante pour l'Espagne, au même titre que Vichy en France. 

L'Histoire est importante pour savoir d'où l'on vient ou qui nous sommes et ce livre en fait la part belle. C'est en effet l'histoire - avec et sans H - vécue par certains personnages qui entraînera tout un déchaînement de violence dans la génération suivante. Génération qui tendra a répéter les mêmes erreurs par ignorance de leur histoire. On voit donc là une belle leçon à retenir sur l'importance de connaître ses origines et son histoire, parce qu'une fois l'apprentissage fait, les personnages sont libres de choisir de rester dans la boucle de destruction ou de la faire cesser et de prendre une autre direction. C'est donc par le parallèle avec l'Histoire de l'Espagne, très bien insérée dans le récit, que l'histoire des personnages se dévoilent, nous permettant de comprendre leurs faits et gestes - sans pour autant les excuser. 

Quant à l'intrigue, elle accélère le rythme tout au long du livre. Le lien entre les personnages est habilement amené et on découvre le pourquoi de cette violence et l'injustice de certaines situations tout en espérant que tout s'arrange, mais l'époque où se passe le récit - vers 1941 et 1981 - étant très dure, les personnages ne sont pas toujours maîtres de leur destin. 

Parlant de récit, il est bon de souligner qu'il se fait en deux temps, littéralement, puisque une partie touche les protagonistes à l'origine de la violence vers 1941 et le deuxième récit, qui touche les descendants, se passe vers 1981. Je tiens à souligner également que l'Histoire est importante dans le livre, mais qu'elle ne prend pas une place trop importante dans le récit. Il n'y a pas là des pages entières explicatives. L'Histoire peut être vue comme un personnage, une trame de fond, mais ce n'est pas un essai sur le franquisme. 

Dernier point - mais non le moindre - l'intrigue policière est très bien faite, là encore sans doute grâce au fait que l'auteur a été policier. Tout est très réaliste, les relations entre policiers ou avec les témoins, le système judiciaire ou les magouilles de certains. L'intrigue est nerveuse, dure, mais elle est menée avec brio, abattant les cartes les unes après les autres sans temps mort. 

Un extrait - qui m'a particulièrement marquée et montre la puissance d'écriture de l'auteur pour nous amener à vivre une situation. Qu'en pensez-vous ?

Quand un homme meurt, justement ou pas, il ne se passe rien de particulier. La vie continue. Le paysage ne change pas, il n'y a pas plus de place dans le monde, sauf peut-être un peu plus de douleur chez ceux qui ont vécu cette mort de près. Mais même cette douleur est vite oubliée par la nécessité péremptoire de vivre, de travailler, de reprendre la routine. Ceux qui sont devant le cadavre de celui qui vient d'être pendu dans la cour de la prison n'ont guère le temps de lui faire leurs adieux, sous l’œil des soldats qui gardent le gibet. Le fils, un enfant d'une dizaine d'années, frôle les pieds nus de son père pendu à une corde, et baisse la tête au moment où le bourreau coupe le nœud et laisse tomber le corps comme un gros sac. 

On entend les rires des soldats, les plaisanteries douteuses. Les proches récitent un Notre Père, même si aucun d'eux ne croit en ce Dieu revêtu d'une armure et bardé du joug croisé de flèches invoqué par ces fauves en chemise bleue et hautes bottes de cuir. Mais ils prient bien haut, pour être entendus du chapelain de la prison. Ils ont peur et ils en ont honte. Peur d'être accusés, eux aussi, peur qu'un voisin ne les dénonce sous un prétexte quelconque, or ils veulent vivre, même si vivre est devenu difficile.

Bref

Je recommande ce livre qui peut être dur, mais la réalité l'était, qui est nerveux, mais pas énervant, qui est historiquement riche, mais pas compliqué à lire. Je suis contente d'avoir découvert cet auteur et je lirai ses autres livres avec plaisir. 


À savoir

Ce livre a reçu le prix Le Point du polar européen en 2012. L'auteur a fait des études en histoire, mais a travaillé dans la police... comme quoi les deux ne sont pas incompatible :-)

Un certain goût pour la mort

de P. D. James
Roman policier
Édition Mazarine - 1987
489 pages - livre offert

In English here

Pourquoi ce livre ?

Tout simplement parce qu'on me l'a donné, que c'est un roman policier et que le nom de P.D. James ne m'était pas inconnu, même si je n'avais rien lu d'elle. 

Le résumé

Le commandant Adam Dalgliesh, de Scotland Yard, fouille dans le passé de Sir Paul Berowne. Cet aristocrate, promis à un brillant avenir politique, a été trouvé égorgé dans la sacristie d'une église de Paddington, aux côtés d'un clochard, lui aussi saigné à blanc. 
Qui était Paul Berowne ? Une vendetta familiale, une jeune fille noyée dans la Tamise, une conversion mystique - autant d'indices qui semblent ne mener nulle part. Mais c'est peut-être en lui-même que Dalgliesh trouvera la réponse. Car ce flic peu ordinaire, poète à ses heures, amateur d'architecture et de musique baroque, possède lui aussi un passé douloureux. Et un certain goût pour la mort. Le destin de Paul Berowne et celui d'Adam Dalgliesh finiront par se rejoindre - à la dernière page de ce prodigieux roman à suspense. 

L'histoire sans la dévoiler

Dalgliesh et son équipe nouvellement formé dédiée aux crimes graves. On suit donc l'enquête pour trouver le meurtrier de Paul Berowne - et par la même occasion du clochard - et ce, grâce aux différents interrogatoires menés à tour de rôle par les membres de la brigade. 

Ce que j'en pense

J'ai retrouvé avec plaisir le petit côté suranné des policiers anglais, la déco très fleurie des demeures victoriennes, les traditionnelles dégustations de thé et petits sandwichs... D'ailleurs, là-dessus, P.D. James est très forte pour nous amener dans son monde. Les descriptions sont très bien faites, très réalistes, le vocabulaires est précis, succinct, il est donc très facile de s'imaginer la pièce, la scène ou de visualiser le tableau décrit. 

La force de l'auteure est cependant ce qui m'a le moins plu dans le roman. Je ne suis pas une adepte des descriptions interminables et récurrentes. Or, c'est ici une très grande part du livre. L'arrivée de Dalgliesh dans la clinique de l'amant de la veuve s'étale sur plusieurs pages... non pas de dialogues juteux, cinglants et pleins de sous-entendus tel que je l'espérais, mais de descriptions de chaque pièce traversée, des personnes rencontrées, des tableaux sur les murs et - histoire de ne pas manquer d'éléments visuels - même de ce que Dalgliesh voit à travers la fenêtre: les jardins de la clinique (autrement dit, une patiente qui se promène avec une infirmière, ça, ça rajoute de quoi au récit!)  

La description a cela de bon, toutefois, lorsque P.D. James trace un portrait - pas forcément partisan - de la haute société anglaise, mais aussi des relations hommes - femmes ou de la vieillesse et ce qu'elle implique pour les proches. L'analyse des personnages et des relations est donc très bien menée, c'est visiblement un point fort chez l'auteure. 

Ceci dit, on connait le meurtrier assez rapidement grâce en partie à la façon bien menée de l'auteure de nous faire ressentir les non-dits et les malaises lors des interrogatoires - et en partie parce que le commandant Dalgliesh l'annonce avant la fin. Donc, pas de fin de livre retentissante, pas de "bon sang je ne m'en doutais tellement pas!", pas de retournements de situation chocs, mais quand même il y a un moment où l'on se prend à avoir peur pour de potentielles victimes. 

Dans l'extrait ci-dessous Dalgliesh est chez un couple pour y interroger la femme. En lisant ce passage, j'ai totalement vécu ce moment de gêne que ressentait le commandant en mangeant son gâteau et j'ai trouvé que l'auteure réussissait à merveille à nous faire vivre cette scène. Qu'en pensez-vous ?

Un extrait

Sans dire un mot, sa femme lui remplit une tasse de thé qu'elle plaça devant lui. Au lieu de la prendre dans sa main, l'homme se pencha et but bruyamment à même la table. Sa femme ne lui jeta pas un seul regard. Elle avait posé devant le visiteur un plat contenant un gâteau à moitié coupé. Un gâteau aux noix et à la confiture d'orange, précisa-t-elle. Sèche et fade, la pâtisserie se désintégra dans sa bouche pour former une pâte collante. De petits morceaux d'écorces d'orange perdus dans l'ensemble avaient un goût aigre. Il fit descendre cette espèce de plâtre avec une gorgée de thé fort contenant trop de lait. Par intermittences, on entendait une mouche bourdonner dans la pièce. 

Bref 

C'est donc un livre où l'on retrouve avec plaisir le flegme britannique, mais sans le fameux humour anglais - que l'on trouve dans les aventures de Sherlock Holmes par exemple - pour l'agrémenter un peu. C'est à lire si vous préférez les ambiances à l'action et si les descriptions vous enchantent. C'est un roman de facture très classique, dont les personnages sont très bien posés, mais pas assez original ou enlevé pour que j'en reste avec un souvenir impérissable.

À savoir

Ce roman a reçu le grand prix de la littérature policière étrangère en 1988. Quant à P. D. James, elle est, selon le Times, le plus grand auteur de romans policiers de notre époque...